Les terrasses cévenoles , bancels ou faïsses – des murs construits en pierre sèche
Calquières – Saint-Germain-de-Calberte. Photographie de Maurice Roux.
Les terrasses cévenoles : la montagne aménagée
L’image la plus marquante que gardera le visiteur découvrant la région des Cévennes sera celle de flancs de montagne, partiellement à totalement aménagés en terrasses, appelées localement des bancels ou faïsses. Les terrasses cévenoles construites en pierre sèche sont si présentes qu’elles se font oublier. Allons à leur rencontre…
Pourquoi y-a t'il des bancels en Cévennes ?
Deux facteurs principaux influencent la nécessité de construire des bancels :
- L’existence d’un relief, aux pentes variables,
- et la présence d’un climat méditerranéen.
Ce dernier, avec ses fortes précipitations, est responsable d’une érosion plus rapide que la formation d’un sol qui s’en trouve aminci lorsqu’il n’est pas simplement emporté lors de violents orages.
Ainsi, en réponse à ce contexte environnemental, la construction de terrasses permet :
- De créer des parcelles sub-horizontales,
- d’approfondir et retenir artificiellement le sol,
- de canaliser l’écoulement des eaux,
- d’améliorer l’infiltration de l’eau
- et de constituer des réserves d’humidité pour la végétation.
D’autre part, leur implantation, à l’abri des vents, à bonne exposition, loin des masses d’air froid en fond de vallée, permet un microclimat favorable aux cultures. Ce microclimat est renforcé par l’action de restitution thermique la nuit de la chaleur emmagasinée par les murs durant la journée.
Toutes ces raisons font de l’aménagement des flancs de montagne en terrasses cévenoles une condition indispensable à la culture et au maintien des sols, et donc jusqu’à une période très récente, à la survie des populations.
De quand datent-elles ?
Le terme « faïsse » apparaît dans les textes dès le bas Moyen Âge (autour de l’an mille). Cependant, l’âge des terrasses cévenoles est très discuté. Certains auteurs pensent que la plupart des terrasses actuellement visibles datent du XVIIIe siècle, période de forte démographie, tandis que d’autres les font remonter depuis l’époque romaine et même avant.
Ces polémiques reposent sur le fait qu’il est quasiment impossible de dater la construction des terrasses, les techniques de leur construction en pierres sèches n’ayant pas évolué dans le temps. D’autre part, leur entretien, ou plutôt leur maintien, était assuré régulièrement, car chaque terrasse était nécessaire à la cohérence de l’ensemble. Chaque génération réparait, agrandissait, améliorait, modifiait… bref, apportait sa pierre à l’édifice, et ainsi se transmettaient le patrimoine et le savoir-faire des paysans-bâtisseurs de bancels.
Ce que nous pouvons toutefois affirmer, c’est que même si les terrasses cévenoles que nous contemplons aujourd’hui sont récentes, il en existait assurément au Moyen-Âge.
Comment sont-elles construites ?
En théorie, la construction des terrasses s’effectue de manière à ce que le volume de déblai soit directement utilisé pour construire le muret avec remblaiement par de la terre à l’arrière.
En pratique, d’autres facteurs interviennent comme la variation de pente, la variation d’épaisseur du sol, la quantité de pierres extraites… Mais, globalement, la pente conditionne la largeur et la hauteur approximative des terrasses (voir figure ci-dessous).
Leur construction commençait vraisemblablement par le bas, puis l’on remontait progressivement la montagne. Dans certains cas, la technique de la clavade était utilisée. Le muret était construit en fond de valat, servant de barrage, le but étant de ralentir et domestiquer les cours de l’eau. Les pierres étaient dans ce cas posées de chant, se coinçant bien entre elles, le mur épousant bien souvent la forme d’un arc de cercle (cet effet de voûte permet d’accroître la résistance de l’ensemble contre les poussées du terrain et le ravinement). Lorsque le bassin derrière le muret était rempli de remblais, un deuxième muret était construit au-dessus et ainsi de suite… Ainsi, le ravin était transformé en une succession de terrasses qu’il fallait aménager ensuite pour le drainage et la collecte des eaux.
Quelle est la technique utilisée ?
Les murs de soutènement des terrasses cévenoles sont construits en pierres sèches, pour favoriser l’infiltration et le transit des eaux, évitant ainsi sa destruction. En effet, la formation de poches d’eau à l’arrière, en gonflant et alourdissant les terres, finirait par pousser l’ensemble de la maçonnerie. Les fondations sont représentées par le sol rocheux même. Le corps du mur se monte en même temps que le remplissage, avec un fruit vers l’intérieur de la terrasse (léger angle par rapport à la verticale) (voir figure ci-dessous).
Les pierres du mur sont posées en boutisse, c’est à dire avec leur plus grande longueur dans la largeur du mur. Cela permet :
- D’ancrer le mur dans le terrain,
- assurer une meilleure cohésion dans l’épaisseur du mur
- et effectuer une liaison entre le parement et le drainage, constitué de petites pierres à l’arrière.
Le sommet du mur ou faîte est bloqué et couvert par des pierres plus longues et larges, posées à plat, souvent appelées « cabucelles » (du patois « cabuceller » qui signifie couvrir) ou bien par des pierres posées de chant en clavade, leur partie supérieure étant taillée en arrondi. Dans les deux cas, le profil de l’ensemble est bien aligné.
La technique de construction en pierres sèches permet un bilan écologique très favorable (absence de mortier, de sable,…) et favorise la biodiversité.
Une école professionnelle de la pierre sèche à l’Espinas permet de se former aux techniques de construction en pierres sèches.
Où sont-elles construites ?
Au loin, les terrasses cévenoles sont souvent disposées au-dessus et en dessous des habitations. Elles sont construites dans la plupart des cas directement sur une assise rocheuse, profitant du moindre ressaut de terrain. L’élément qui conditionne l’implantation d’un hameau (quelques maisons) et de son environnement est, en général, la présence d’une source à proximité. Les terrasses proches des habitations sont généralement réservées au jardinage, puis viennent celles exploitées en pré et enfin celles supportant des châtaigneraies.
Architecture des systèmes de terrasses : du loin au proche
Au loin, l’aspect régulier et géométrique des systèmes de terrasses cévenoles devient de plus en plus confus et désorganisé lorsque l’on s’en approche. La verticalité des piquets et des arbres contraste avec l’horizontalité des murs.
De l’intérieur, le système en terrasses apparaît comme un labyrinthe, où il n’est pas évident de retrouver son chemin. Pourtant, tout est aménagé pour se déplacer d’une terrasse à l’autre. Des chemins extérieurs, des rampes intérieures ou escaliers permettent d’accéder à chaque niveau de bancel. Parfois, une légère pente dans la terrasse permet à son extrémité de passer directement à la terrasse suivante. Les escaliers sont généralement construits dans l’épaisseur du mur, ou sous forme de larges pierres en encorbellement dépassant du mur et définissant les marches.
Les systèmes de terrasses cévenoles comprennent des réseaux hydrauliques essentiels à leur fonctionnement. Un réseau de trencats qui collecte les eaux de ruissellement et les détourne dans des valats, protégeant ainsi les terrasses. Un deuxième réseau capte l’eau au niveau des ruisseaux, l’achemine dans des bassins et permet l’irrigation de la terrasse. Son utilisation est généralement régie par des droits d’usage de l’eau.
Il existe aussi des aménagements annexes : des niches dans l’épaisseur du mur, des niches à ruches exposées au sud, des murets perpendiculaires à la pente servant de clôtures naturelles contre les animaux, des cabanons…
Un exemple remarquable en Cévennes : Le système de terrasses en pierre sèches des Calquières
La vidéo de Frédéric Bertho
Porte ouverte sur…Un paysage en pierres sèches
Frédéric Bertho
Éléments de bibliographie
Ouvrages et études concernant les terrasses en pierres sèches.
- Ambroise R, Frapa P, Giorgis S (1989) Paysages de terrasse. édisud. Aix-en-Provence. 176 p.
- Boris Villemus (2004) Étude des murs de soutènement en maçonnerie de pierres sèches. Thèse de doctorat, INSA de Lyon, 254p.
- Collectif (1997) La remise en valeur des terrasses de culture cévenoles. Actes de colloque, Alès, Cévennes Parc National des Cévennes/Réserve de biosphère, 136 p.
- Frapa P., Giorgis S. et Ambroise R (1982)., Paysages de terrasses, Paris : Edisud.
- Giorgis S (1987) L’architecture et l’urbanisme sur les versants en terrasses de culture en zone méditerranéenne française. École d’architecture de Marseille Laminy. Mémoire de fin d’études. 190 p.
- ProTerra (1996) Le système terrasses: définitions, outils et méthodes d’approche. Actes de l’ Atelier n°1 du Programme ProTerra, Avignon, Centre Méditerranéen de l’Environnement, 101 p + annexes.
- ProTerra (1997a) Techniques de soutènement des terrasses et transmission des savoir-faire. Actes de l’Atelier n°2 du Programme ProTerra, Palma de Majorque/Avignon, Centre Méditerranéen de l’Environnement, 176 p.
- ProTerra (1997b) Mécanisation et équipements adaptés aux terrasses de culture. In : Atelier n°3 du Programme ProTerra, Avignon, Centre Méditerranéen de l’Environnement, 30 p + annexes.
- Proterra,CME et SAB, (2001) Pour une nouvelle valorisation des terrasses de culture, Avignon, Laffont.
Pour en savoir plus
Les règles professionnelles pour la construction en pierres sèches.
Le Guide de bonnes pratiques est le premier ouvrage national de référence technique pour la construction des murs de soutènement en pierres sèches.
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Livre de référence sur la pierre sèche aux éditions Eyrolles sous la direction de Louis Cagin.
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Personnellement, j’étudie la toponymie de la Vallée Française et environs.