Les courbes de niveau – Une longue histoire vers la géographie moderne –
De la carte d’État-Major en hachures à la carte en courbes de niveau autour du Pompidou et de la Can de l’Hospitalet
La nouvelle carte de la France du XXe siècle adopte le tracé des courbes de niveau pour traduire le relief et la géométrie du terrain. Connues dès le XVIIIe siècle, elles accompagnent l’essor de la géographie moderne et de la géologie au XIXe siècle. Elles sont adoptées pour la cartographie de plusieurs pays européens, malheureusement la France prend du retard, ce qui lui portera préjudice lors de la première guerre mondiale face à une Allemagne qui disposait d’une cartographie moderne tout en courbe de niveau. Nous présentons une comparaison entre la carte d’État-Major en hachures et celle de l’IGN en courbes de niveau autour du Pompidou et de la Can de l’Hospitalet.
Les courbes de niveau, une invention française
Les courbes de niveau ont été imaginées dès 1765 par Ducarla qui présente son travail à l’Académie des sciences en 1771. Puis, la théorie des courbes de niveau est exposée par Sylvestre François Lacroix en 1804, reprise en 1811 dans son texte d’introduction à « la géographie moderne » de l’ouvrage de Pinkerton. Lacroix est un précurseur des notions de géomorphologie et de biogéographie. L’utilisation des courbes de niveau accompagne l’essor de ces disciplines qui vont révolutionner la géographie physique et la géologie.
Les courbes de niveau sont utilisées par des géographes comme Dupin Triel dès la fin du XVIIIe siècle et leur utilisation est antérieure aux hachures des cartes d’État-major qui sont d’ailleurs construites à partir de ces dernières. En effet, les officiers d’État-Major tracent à l’estime des courbes de niveau à partir des levés de points cotés et des tracés de forme du paysage. Les hachures sont ensuite tracées perpendiculairement aux courbes pour la réalisation de la carte. À l’époque, les services géographiques de l’armée préfèrent la représentation en hachures, car elle se rapproche de l’aspect visuel du terrain et de sa représentation par l’ancienne perspective qui est issue de la peinture. Pionnier de la cartographie au XVIIIe siècle avec la carte de Cassini et au XIXe siècle avec la carte d’État-Major, la préférence de la représentation en hachures va retarder la France dans le domaine à partir du milieu du XIXe siècle.
La France prend du retard
Dès 1840, des cartes dont le relief est représenté par des courbes de niveau sont publiées en Belgique, en Suisse et en Allemagne. En France, le service des armées lance un projet de carte à 1/50 000 avec le relief en courbes de niveau, malheureusement il sera abandonné en 1883. Néanmoins, les services des ponts et chaussées et les chemins de fer demandent d’avoir directement les levés de courbes de niveau pour leurs travaux et ce sont ceux levés à l’estime pour la carte d’État-Major qui leur sont fournis. Par ailleurs pour les épreuves d’accession à l’École de guerre, l’on demande de réaliser des cartes en courbes de niveau à partir de la carte d’État-Major en hachures. La représentation du relief en courbes de niveau est clairement plus précise et plus utile que les hachures qui dominent les cartes à l’époque.
Technique de levé des courbes de niveau
Avant 1880, le tracé précis des courbes de niveau nécessite le levé d’un nombre important de points avec un théodolite, matériel très encombrant. Ce n’est qu’avec l’avènement du tachéomètre en 1880, instrument plus léger et maniable, que l’on peut l’utiliser à grande échelle et obtenir un modèle du relief plus précis. À la même époque, le géographe Franz Schrader élabore l’orographe, instrument permettant d’effectuer des tours d’horizon avec mesures de points cotés. Techniquement, il devient plus facile de réaliser des cartes en courbes de niveau.
Un désavantage durant la guerre de 1914-1918
Mais le retard est tel qu’à l’entrée de la guerre de 1914-1918, la France utilise encore la carte d’État-Major. Les officiers d’État-Major disposent :
– de collections complètes pour le théâtre Nord-Est de cartes à 1 : 200 000 ;
– de cartes à 1 : 80 000 dont les tirages ont été industrialisés par la zincographie ; ces cartes couvrent les territoires de l’Alsace et de la Moselle mais pas la Belgique ni le Luxembourg.
– Quelques feuilles de la Nouvelle carte de France à 1 : 50 000 couvrent des régions frontalières, en Lorraine, dans les Vosges, près de Soissons. Elles ne couvrent pas au-delà de la frontière de 1871.
– Les levés à 1 : 20 000 pour l’établissement de ces feuilles ne sont pas publiés. Il existe seulement des tirages anciens de plans directeurs des environs de Verdun, Toul et Epinal…
En regard, les Allemands disposent d’une cartographie intégrale de leur territoire, dont l’Alsace et la Moselle, à l’échelle de 1 : 25 000 en courbes de niveau ce qui leur donnera un avantage non négligeable.
Ce n’est qu’à partir du XXe siècle, que le Service géographique des armées propose une nouvelle carte de France en courbes de niveau.
Éléments de bibliographie utilisés pour l’article
Ducarla, 1782, Expressions du nivellement ou méthode nouvelle pour marquer rigoureusement sur les cartes terrestres et marines les hauteurs et la configuration du terrain publiée par M. Dupain Triel père Paris. (Ducarla décrit dans ce texte, p. 97-111, la genèse de son idée des lignes de niveau).
Lacroix S., 1804, L’introduction à la géographie mathématique et critique, Paris, Dentu
Lacroix, les lignes de niveau à l’appui d’une nouvelle vision de la géographie physique. Lamandé Pierre, 2009, bull du CFC, N°199, p. 23-34.
La carte topographique en courbe de niveau, une difficile génese au XIXe siècle. Nicolas Jacob, 2018, bull du CFC, N°238, p. 59-68.
Pierre-Antoine Clarc et la brigade topographique du dépôt des fortifications : premières réalisations des courbes de niveau par Luisa Rossi, 2018, bull du CFC, N°238, p. 25-38.
Autour du Pompidou et de la Can de l’Hospitalet
Le Pompidou est un village de Lozère situé sur la Corniche des Cévennes à la jonction entre le petit Causse de la Can de l’Hospitalet et deux grandes vallées cévenoles, la vallée Borgne et la vallée Française. La carte d’État-Major de ce secteur (levés exécutés entre 1855 et 1860, feuille d’Alais) est extraite du site Géoportail qui permet de visualiser de nombreuses cartes officielles actuelles et historiques sur tout secteur en France.
La représentation du relief en hachures caractéristique de la carte d’État-Major met clairement en évidence les principaux éléments morphologiques du secteur. Les hachures indiquent la pente et la couleur livre une indication sur la hauteur relative. À l’extrémité en haut à gauche de la carte, les courtes hachures soulignent les falaises qui bordent le Causse Méjean. Puis au nord-ouest du Pompidou, la partie claire annotée de nombreux points côtés à plus de 1000 m d’altitude est limitée par des hachures, parfois perpendiculaires à de vagues courbes de niveau, qui représentent le relief du plateau du petit causse de la Can de l’Hospitalet. Entre les deux causses, on voit clairement serpenter le Tarnon avec ses méandres, dessiné en bleu qui se détache de ses berges. La représentation du relief montre directement et admirablement les bassins versants à l’origine du gardon de Saint-Jean, au sud entre Bassurels et la Can de l’Hospitalet et celui du gardon de Sainte-Croix-Vallée-Française, au nord, sous le col du Rey et qui entaille la bordure Est du petit causse de la Can de l’Hospitalet, soulignant sa limite très irrégulière.
L’exemple de la lecture de carte d’État-Major du secteur du Pompidou montre à quel point la représentation du relief en hachures est immédiate et intuitive contrairement aux courbes de niveau, plus précises, mais plus abstraites. Néanmoins, ces dernières cartes sont beaucoup plus lisibles et permettent de reconstruire le secteur en trois dimensions comme dans la réalité. La carte IGN présentée ici est extraite de Géoportail à l’échelle 1:100 000 pour être plus proche de l’échelle de la carte d’État-Major. Un article consacré aux cartes du XXe siècle en courbes de niveau propose une lecture de cartes à différentes échelles sur ce même secteur.
Comparaison entre une carte avec relief en hachures et en courbes de niveau : Le Pompidou et la Can de l’Hospitalet
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Pour en savoir plus
Carte des Cévennes
La carte du Bas Languedoc de J. de Beins, 1626 (Bib. Nat., Cartes et plans, Ge DD 2987, 656 format 67,5cm * 75 cm)
La carte d'État-Major de R.L. Stevenson pour son "Voyage avec un âne à travers les Cévennes "
La carte de Sercamanen,1628 « Carte des Sevennes, des diocèses de Montpellier, Nismes, Uzès, Viviers, Lodève, Mende et de partye d’Agde ». Ingénieur et géographe du Roy. Échelle 1/320 000e. (Archives nationales. Archives de la marine, 6 JJ 72, 102).
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Carte de Nolin - 1703 - Édition française - Musée des Vallées cévenoles (48,7 cm * 42 cm).
La carte des lieux et déplacements des maquis d'antifascistes allemands en Cévennes (Florence Arnaud, 2008).
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Évolution du tracé des gorges du Tarn sur la carte Michelin de 1920 à 2022
Cartes de Demain
Terra Forma
Manuel de cartographies potentielles de Frédérique Aït-Touati, Alexandra Arènes et Axelle Grégoire.
Atlas
"Atlas" de Michel Serres - 1996 - Édition Flammarion - épuisé -
Éléments de bibliographie
Bibliographie sur la cartographie et les cartes des Cévennes
(en cours de réalisation)
La cartographie de la France et ses acteurs avant les Cassini
par Monique Pelletier (CFC, 2002).
Les géographes français et la carte topographique sous la Troisième république (1870-1940)
Emmanuel Jaurand, Université de Paris (CFC, 2001).
Jean Picard, une vie dans l’ombre
Exposition de l’Observatoire de Paris
Les débuts de la cartographie scientifique
Suzanne Débarbat et Simone Dumont. Observatoire de Paris (CFC, 1996).
La carte de France
par Monique Pelletier (CFC, 1986).
La cartographie de base de la France
J Carré, IGN, (CFC, 1979)
Jean-Dominique Cassini
Exposition, dossier pédagogique et bibliographie sur Jean-Dominique Cassini et la cartographie au temps de Cassini
Cartographie et pouvoir sous les règnes de Louis XIV et Louis XV
Monique Pelletier – CFC, Compte-rendu de la réunion du 16 mars 1994 sur le thème de « la cartographie et le pouvoir dans l’histoire de la cartographie ».
Carte topographique de la France de 1/80 000 dite carte d'Etat-Major
Exposition sur la carte d’État-Major, Bibliothèque de Fels, 2009-2010
La carte topographique française de 1887 à nos jours
Gérard Chappart et Nicolas Reynard, IGN, (CFC, 2007)
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